Modernisme
Un “prophète” moderniste. Le testament de l’abbé Primo Vannutelli
Par Monsieur l'abbé Francesco Ricossa
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°64
Mis à part quelques spécialistes, qui se souvient aujourd’hui de l’abbé Primo Vannutelli, né à Genazzano le 27 mars 1885, et mort à Rome, chez les Pères philippins de l’Oratoire Saint-Philippe Neri, à l’église Chiesa Nuova, le 9 avril 1945 ? Et pourtant, en d’autres temps et en d’autres circonstances, l’abbé Vannutelli aurait pu accéder aux plus hautes charges ecclésiastiques, à l’exemple de ses deux oncles cardinaux, les frères Séraphin (1834-1915) et Vincent (1836-1930) Vannutelli (1) qui firent tant pour que leur neveu, éloigné du Séminaire Pie de Rome en 1908 pour “absence de vocation” et jamais plus réadmis en dépit de leurs pressions, soit cependant ordonné prêtre en 1909. De fait, quoique “monseigneur” (2) et exégète de renom, responsable de nombreuses publications sur la Liturgie et l’Écriture Sainte, après vingt ans d’enseignement au Lycée Visconti de Rome, et une activité dans les Groupes de l’Évangile de la FUCI à l’Université de Rome (3), il demeura simple prêtre jusqu’à sa mort. Une ombre pesait en effet sur lui, un épisode de sa jeunesse sacerdotale désormais oublié, l’épisode fugitif de sa collaboration au premier et unique numéro de la Revue de Sciences des Religions avec un article sur le livre de Tobie. La revue était parue sans les autorisations ecclésiastiques nécessaires en janvier 1916, sous le Pontificat de Benoît XV bien plus compréhensif que celui de saint Pie X vis-à-vis des modernistes ; elle avait attiré immédiatement les soupçons des cardinaux qui, puissants sous le Pape Sarto, continuaient à mener la politique de son pontificat au sein de la Suprême Congrégation du Saint-Office. En effet, bien que sans directeur, la Revue était l’œuvre du prêtre Ernesto Buonaiuti, professeur d’Histoire du Christianisme à l’Université royale de Rome, et, surtout, déjà démasqué en tant que chef de file des modernistes italiens. C’est ainsi qu’à la réunion de la Congrégation générale du mercredi 12 avril 1916, les éminentissimes cardinaux Merry del Val, De Lai, Van Rossum, Serafini et Billot décidèrent la condamnation de la Revue et, mesure plus grave, la suspension a divinis (autrement dit l’interdiction de dire la messe et d’administrer les sacrements) des prêtres impliqués : Buonaiuti, Turchi, Vannutelli, Motzo et Fracassini (ce dernier se défila aussitôt). La disgrâce dans laquelle fut inclus Vannutelli fut de brève durée. Grâce, entre autres, à l’intervention et aux bons offices du cardinal secrétaire d’État, Pierre Gasparri, ami de Buonaiuti, les quatre prêtres furent relevés de la censure le 13 juillet de la même année. Le cardinal Gasparri avait pris la question en main, la retirant au Saint-Office, et après avoir fait prêter aux quatre prêtres un serment antimoderniste peu sincère dans sa chapelle privée, il les renvoya, tous absous, immédiatement (4). Si plus tard Buonaiuti fut excommunié et si Motzo quitta le sacerdoce, Turchi dissimula, et du modernisme de Vannutelli, il ne fut plus question… jusqu’à sa mort.
En effet, tandis qu’étaient publiés dans L’Osservatore Romano, des articles élogieux à sa mémoire et que l’on préparait la publication posthume d’œuvres de l’exégète disparu, le bruit commença à courir qu’avant de mourir, l’abbé Vannutelli aurait écrit un testament spirituel à publier après sa disparition. Un “testament de foi”, intitulé “Dal profondo” [Du profond] dans lequel l’estimé prêtre confessait – témoignage bouleversant – avoir depuis longtemps perdu totalement la foi chrétienne. Il le fait en articulant sa pensée autour de quatre sujets principaux : Du monde – De Dieu – Jésus-Christ – L’Église. L’écrit, dont la dernière page est datée du 3 octobre 1939, avait été confié dans les années 1940-1941 à un ami, le professeur Gabrieli, qui le fit publier presque intégralement en 1978 seulement (on en avait eu partiellement connaissance dès le début) (5).
Illustrer la pensée de l’abbé Vannutelli n’est pas le but de cet article. La lecture de cette véritable “contrapologétique” est déconseillée. Je ne me propose pas non plus de résoudre la question – que je me suis posée pourtant – de savoir si, du moins à ce moment-là, l’abbé Vannutelli était sincère, lui qui mentit toute sa vie. En effet, tandis qu’avec toutes sortes d’arguments les plus subtils, il expose ses pensées contre la foi (éternité du monde et son infinité, Dieu conçu comme désiré, et époux du monde désirant, son éternelle épouse ; négation de la Trinité, de la divinité de Jésus-Christ et de l’Incarnation ; négation de la Révélation, de l’inerrance de l’Écriture et de l’infaillibilité de l’Église, négation de ses Sacrements), l’abbé Vannutelli manifeste également, avec des accents déconcertants, son “amour” personnel pour Dieu, pour Jésus-Christ, pour l’Église. Mentait-il aussi au terme de sa vie ? Ou bien, en parfait moderniste, conciliait-il en soi l’incrédule et le croyant ? Ce qui est certain, c’est que l’abbé Vannutelli, en parfait moderniste, réalisa l’un des points essentiels du programme moderniste : rester dans l’Église catholique, pour tenter de la modifier de l’intérieur (6).
Laissant de côté bien des questions intéressantes soulevées par ce testament sacrilège, je propose seulement au lecteur quelques considérations qui me sont venues à l’esprit en lisant les pages dans lesquelles l’auteur commence par nier la Divinité du Christ, pour en tirer ensuite les conséquences concernant le judaïsme et l’islam, se proposant enfin de faire accepter cette “vérité” impie à l’Église. Les analogies avec la situation actuelle de l’Église sont impressionnantes…
Pour le prêtre moderniste Jésus n’est pas Dieu, et l’Église pourrait l’admettre sans rupture avec le passé
Après avoir loué l’Église (à sa façon) et s’adressant à Elle, l’abbé Vannutelli l’invite à changer d’avis sur la Divinité de Jésus-Christ, lui proposant un aggiornamento (mise à jour) qui demeure, à son avis, aujourd’hui on dirait ‘ratzingeriennement’, dans une herméneutique de la continuité :
“Tout comme l’homme, selon son âge, change ses pensée et ses façons [d’agir], en sorte que, sans réprouver les unes, il en suit d’autres, que dans ses jeunes années il renonce à ses premiers amusements insouciants, et dans ses années adultes sent s’apaiser les ardeurs qui autrefois étreignirent son cœur et celui d’autrui, et dans sa vieillesse recherche le silence, et porte de candides présages, ainsi aussi ta vie, ô Mère, pour celui qui la regarde tout entière, sans se renier, s’innove. À chaque âge, ses préoccupations ; mais aux amants de Dieu tout coopère au bien” (op. cit., p. 244).
L’abbé Primo propose à notre Mère (l’Église) d’innover sans renier, et l’exemple, il le trouve dans les âges de la vie humaine où au petit enfant succède le jeune homme, à celui-ci l’homme mûr et le vieillard ; toujours il reste lui-même et toujours il change tout à la fois. Donc notre Mère l’Église, pense l’abbé Vannutelli, peut – sans rupture, tout en demeurant elle-même – changer d’avis, et ce, même sur la Divinité de Son Fondateur ! Et voici que, s’armant de courage, l’abbé Vannutelli fait à notre Mère l’Église cette proposition impie : Jésus, son Fondateur, n’est pas le Verbe, le Logos de Dieu.
“Or, voici. C’est à genoux que je voudrais écrire ces paroles. Des études attentives, faites pendant des siècles, par des hommes de plusieurs nations, et parmi eux aussi, par des fils à toi [les modernistes, n.d.a.] ont montré que selon les Évangiles les plus antiques Jésus ignora être le “logos” de Dieu, Dieu avec le Père, ayant été avant le monde. Ces titres, Jésus ne se les donne jamais dans ces récits. Il fut un grand prophète, serviteur et fils de Dieu, envoyé pour opérer une grande œuvre, mais moins heureux que Moïse, ou Mahomet, ou François d’Assise (…) Il semble bien que Jésus lui-même se soit considéré comme le Messie : mais jamais il ne se dit “logos” de Dieu, Dieu avec le Père. Dans une page passionnée du Coran, on imagine que l’Éternel, le jour du Jugement appelle aussi Jésus : ‘As-tu jamais dit : Prenez-nous pour des Dieux moi et ma Mère, à côté du Dieu unique ?’ ‘Non, par Ta gloire. Comment aurais-je dit ce qui n’est pas vrai ?’ (…)” (op. cit., pp. 244-245).
Après cette profession d’Arianisme, ou de Mahométisme, que fait l’abbé Primo ? Invite-t-il le lecteur à abandonner l’Église catholique ? Bien sûr que non, vu que c’est à l’Église qu’il écrit :
“S’il était donc vrai, ou du moins qu’il nous apparaissait certain, que Jésus ne s’est jamais cru ni jamais dit autre chose qu’invité à fonder le Grand Règne, que devrons-nous faire ? Abandonner l’Église et la Croix ? Ne plus adorer Dieu en union avec Jésus ? Nous punir nous-mêmes d’avoir cherché la vérité ? Mépriser superbement nos humbles frères ? (…) Non, personne n’aurait plus que nous le devoir de demeurer dans l’Église” (op. cit., pp. 245-246).
Et l’abbé Primo poursuit en expliquant qu’il reste alors deux voies : rester dans l’Église en expliquant la “vérité” (que le Christ n’est pas Dieu), ou bien mentir, et inculquer la “fausse” croyance (selon laquelle le Christ serait Dieu). Mais comment faire pour mener l’Église et ses fidèles à ne plus croire en Jésus-Christ sans se démasquer, sans se faire chasser de l’Église ? Par une série de procédés qu’énumère l’abbé Vannutelli…
Quelques procédés pour faire perdre la foi en la divinité du Christ
sans dévoiler ouvertement ses propres intentions
“La première voie (celle de la sincérité) est difficile ; mais un peu moins que cela ne semble. Parlons toujours, et avec tout l’amour, du Père, auquel la vie et la mort de Jésus nous ont conduits nous pauvres idolâtres. Au Père demandons l’amour. Répétons et commentons la prière enseignée par Jésus, non pas en l’adressant aux saints, mais au Père : répétons ces paroles du quatrième évangile : ‘Je monte vers mon père et votre père, à mon Dieu et votre Dieu’. Lisons et expliquons amplement les prophètes et les psaumes et les trois premiers évangiles. Montrons comment presque toutes les prières de la liturgie s’adressent au Père, par les mérites de Jésus : répétons la doxologie prénicéenne ‘Gloire au Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit’ ou celle de Paul ‘Gloire à Dieu dans l’Église et en Jésus-Christ’. Substituons à l’adoration de Jésus l’adoration du Père avec Jésus et par Jésus son fils. Et l’on peut bien appeler Jésus fils de Dieu, puisque ce nom s’applique à tous les bons, mais à lui singulièrement pour sa vertu et ses œuvres” (op. cit., p. 246).
Que le lecteur remarque la tactique du moderniste : rester dans l’Église et dans l’Église enseigner l’erreur non pas ouvertement, mais en cachette, en substituant aux formules précises de la Foi d’autres expressions vraies extraites de l’Écriture ou de textes plus anciens mais présentées de façon ambiguë…
Digression : le moderniste a le même Dieu que les Juifs et les Musulmans
L’abbé Vannutelli poursuit :
“Et si un lecteur de ces pages me demandait :
‘Que reste-t-il alors au Christianisme si Jésus n’est pas Dieu ?’, je lui réponds d’ores et déjà : Bien peu de chose (…)
‘Mais alors, qu’est-ce qui distinguera le chrétien de l’israélite et du mahométan ?’
Si rien ne nous distinguait vraiment, en serais-tu affligé ? Si, dans l’amour du Père nous n’étions qu’une seule bouche et qu’un seul cœur ? Si à tant de causes de discorde entre les hommes, on n’aurait plus à ajouter celle qui devrait être une source d’amour ? Si la vérité, qui est une, nous unissait ? ” (op. cit., p. 247).
Lorsque l’abbé Primo Vannutelli écrit ces lignes, il ignore encore le tournant dans les rapports entre Christianisme, Judaïsme et Islam inauguré par Jean XXIII dans ses colloques avec Jules Isaac, il ignore la déclaration conciliaire Nostra Ætate sur les religions non chrétiennes, il ne sait pas encore que Jean-Paul II et Benoît XVI prieront more judaico au mur des Lamentations, qu’ils franchiront le seuil de synagogues et de mosquées, qu’ils enseigneront que Chrétiens, Juifs et Musulmans adorent le même Dieu et que l’Ancienne (ou mieux la première) Alliance doit être considérée comme étant encore en vigueur. S’il l’avait su, il est certain qu’il se serait réjoui en voyant réalisée une partie au moins de son programme. Et s’il lui était objecté que le Seigneur Jésus, Dominus Jesus, distingue encore aujourd’hui le Chrétien du non chrétien, l’abbé Vannutelli n’en aurait pas été désolé car même lui, à sa façon, se croyait chrétien :
“Et puis, veux-tu savoir ce qui nous distinguerait sans nous diviser ? Jésus et sa croix. Nous, nous adorons Dieu en suivant Jésus-Christ : ‘Deum colimus per Christum’. ‘Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renie, prenne sa croix et me suive’. C’est dans la Croix et dans le Crucifix, dans la souffrance sacrée ou sacrifice, que nous avons notre marque distinctive” (op. cit., p. 247).
Digression : la réforme moderniste imposée par un “Pape” moderniste ?
Si le moderniste entend rester dans l’Église c’est parce qu’il pense, ou plutôt croit par la force même de son système évolutif, que l’Église se transformera. Rappelons les paroles de Buonaiuti :
«“Jusqu’à ce jour on a voulu réformer Rome sans Rome ou même contre Rome. Il faut réformer Rome avec Rome. Faire en sorte que la réforme passe par les mains de ceux qui doivent être réformés. Telle est la vraie et infaillible méthode. Mais elle est difficile. Hic opus, hic labor”. “Le culte extérieur durera toujours comme la Hiérarchie, mais l’Église, en tant que maîtresse des sacrements et de ses ordres, modifiera la hiérarchie et le culte selon les temps : elle rendra celle-là plus simple, plus libérale, et celui-ci plus spirituel ; et par cette voie elle deviendra protestante ; mais un protestantisme orthodoxe, graduel ; non violent, agressif, révolutionnaire, insubordonné ; un protestantisme qui ne détruira pas la continuité apostolique du ministère ecclésiastique ni l’essence même du culte”» (7).
L’abbé Vannutelli, lui aussi, rêve d’un Pape moderniste, et il va jusqu’à voir les difficultés dans les réactions qui en naîtraient : “Tu me diras : même si tout cela était vrai, tu divagues. Comment l’homme peut-il renaître lorsqu’il est vieux ? Comment l’Autorité de l’Église pourra-t-elle, je ne dirai pas favoriser, mais seulement tolérer, de tels retours à la vérité selon toi ? Peut-être bien que, si toi-même étais Pape, un beau jour tu rassemblerais évêques et fidèles, et que tu proclamerais : ‘Voici quelle est notre foi : Je crois en Dieu, raison et cause et fin de tout ; en son Fils et adorateur, Jésus crucifié ; en l’amour ou esprit qui mène à Dieu. Je crois en l’Église, à la communion des choses saintes, à la rémission des péchés ; j’espère en la vie éternelle’ ? Que crois-tu qu’il arriverait ? Malgré toute ton infaillibilité définie de Pontife Romain, d’aucuns chercheraient à te faire revenir sur tes paroles, d’autres démontreraient que tu es invalidement élu, d’autres te plaindraient d’avoir perdu l’esprit, beaucoup se détacheraient pour former des groupes particuliers. Et toi, quels arguments aurais-tu pour les persuader, impréparés comme ils le sont ? Voudrais- tu convoquer un concile œcuménique, et laisser à chacun la liberté de parole ? Oh que de contestations, que d’altercations ! Tu crois qu’ils s’accorderaient pour finir ? Beaucoup s’obstineraient dans le nihil innovetur ; d’autres, se voyant incompris ou bien se sépareraient ou bien, même s’ils voulaient demeurer unis, après avoir parlé de façon aussi discordante, ne seraient plus supportés par les ‘fidèles de la tradition’. Tu aurais dévoilé aux yeux de tous qu’il y a discorde au sein de l’Église, et divisé celle-ci de fait irréparablement. Et les humbles, les bons Chrétiens, qui adorent Dieu parmi les ténèbres de l’existence, qui devraient-ils croire voyant leurs pasteurs divisés ?” (op. cit., pp. 247-248).
Comment ne pas voir dans ce passage d’impressionnantes “prophéties” ? Comment ne pas voir que la réalité a peut-être dépassé l’imagination ?
Que le “retour à l’antique”, à la jeunesse de l’Église vieille désormais puisse se réaliser au moyen d’un “Pape” et d’un “concile œcuménique”, était une hypothèse émise par l’abbé Primo. Qui ne voit que le rêve du vieux moderniste est devenu réalité au-delà de ses prévisions les plus optimistes, puisque si Vatican II et le post-concile n’affirment peut-être pas ce qui est dit ci-dessus, il est certain qu’ils le favorisent ou du moins le tolèrent, ce dont “rêvait” l’abbé Primo.
L’abbé Vannutelli va jusqu’à prévoir la réaction catholique au modernisme, pourtant appuyé par l’“Autorité”. Il va jusqu’à prévoir le sédévacantisme, ce qui est tout dire ! Et il prévoit même que d’autres, encore plus “progressistes”, seraient tentés de s’en aller comme seraient tentés de s’en aller les “fidèles à la tradition”. Or, le “prophète” Vannutelli ne veut chasser de l’Église ni les “modernistes incompris” des “fidèles à la tradition”, ni “les fidèles à la tradition” eux-mêmes : il faut les réconcilier tous dans l’“Église catholique” œcuméniste dont il rêve.
“La réforme ne peut venir d’en haut” (ivi, p. 248), en déduit l’abbé Vannutelli, mais non parce qu’il est impossible qu’un “Pape” la décrète, mais parce qu’il faut prédisposer les esprits des catholiques à une telle réforme pour éviter les schismes et les divisions. On ne peut alors s’empêcher de penser à Benoît XVI qui a paternellement reçu le moderniste Hans Küng tout comme le lefebvriste Mgr Fellay conservant le premier et réadmettant le second dans sa communion ! (Depuis que ces lignes ont été écrites, Ratzinger a accueilli dans sa communion les anglicans “traditionalistes” – dans leur anglicanisme dont ils conserveront la liturgie et la discipline – sans interrompre le dialogue œcuménique avec les anglicans progressistes guidés par le pseudo-archevêque de Cantorbéry).
Autres procédés pour préparer les esprits à la réforme
Toujours dans sa vision de renouveau dans la continuité, l’abbé Vannutelli compare l’Église à un arbre ; avant que l’“Amour souffle et rénove la face de l’Église” (cf. la Nouvelle Pentecôte conciliaire évoquée par Jean XXIII) faisant naître “de nouvelles petites feuilles”, que du haut de l’arbre tombent des feuilles et des rameaux secs que l’hiver n’avait pas emportés” (p. 248). De même, dans le fameux discours de Benoît XVI à la Curie sur l’herméneutique de la continuité, Ratzinger affirme bien en effet la continuité entre Tradition et Concile (cf. l’arbre qui est toujours le même et se rénove) mais il affirme aussi la discontinuité avec des documents plus récents du magistère – par exemple de Pie IX – qui eurent leur période de vie mais qui sont des feuilles sèches et tombées désormais (8). La véritable Tradition, pour ces esprits, se trouverait seulement dans le retour aux sources (cf. le ressourcement invoqué par le Père Congar) : “On pourrait peut-être, comme préparation, proposer un moyen : – écrit l’abbé Vannutelli – que tous, du moins les dirigeants, étudient davantage, et avec plus de sincérité et de pureté, les origines du Christianisme : qu’ils relisent avec un cœur pur et sans thèses préétablies les écritures (…)” (p. 248). “Si des différences d’opinions surgissaient, même dans des choses graves, ne jamais se diviser, s’aimer, et rester unis, tout en demandant la lumière. Dans ces études non pas d’années, ni seulement de décennies, que l’Autorité ne se presse pas d’intervenir en tant que telle : elle a des forces pour combattre les erreurs avec des arguments raisonnables ; que ce qui devrait se faire par décrets et excommunications, se fasse avec de solides réfutations” (p. 249). Qui ne voit que ce programme, Jean XXIII l’a fait sien dans le discours d’ouverture du Concile, et Paul VI dans la suppression du Saint-Office devenu Congrégation pour la Doctrine de la Foi ? Que l’Église “tempère – écrit l’abbé Vannutelli – les esprits courroucés qui invoqueraient le feu du Ciel. Le résultat et la fin ne devraient être la négation d’aucun dogme, seulement l’affirmation d’augustes vérités communes à tous les chrétiens…” (ibidem).
La réforme “devrait être une réforme de rites, non ouvertement de dogmes”…
… écrivait l’abbé Vannutelli (p. 251) ; voilà qui est significatif ; et c’est comme par hasard que la réforme conciliaire a débuté justement avec la réforme liturgique ! Réforme liturgique qui a exaucé les souhaits du vieux moderniste incrédule : “un autre moyen à adjoindre à celui de l’étude et de la discussion, serait la liturgie sentie et comprise par tous. Il est vrai que l’usage du latin dans l’Église catholique, c’est-à-dire universelle et non restreinte à un seul peuple, est un grand moyen d’unité de tous les fidèles. (…) Mais penser que l’Église a dans la liturgie un moyen si puissant de catéchiser quotidiennement les fidèles et s’en prive, cela fait mal et cela fait peur : déjà Rosmini, écrivant sur les cinq plaies de la Sainte Église, la considérait comme étant la première de ces plaies ; mais son livre fut interdit et soustrait à la lecture des catholiques. Une liturgie exécutée par clergé et fidèles ensemble et comprise et sentie par tous, outre rénover l’antique communion ou koinonia, perdue aujourd’hui, serait un catéchisme, fait non pas d’arides définitions et énumérations, mais de paroles enflammées : les Prophètes, Jésus, Paul, Jean, Ambroise, Augustin, Léon, parleraient à nouveau. Avec ce culte varié et émouvant, rendu à Dieu seul, unique et vrai, par l’intermédiaire du Pontife et intercesseur Jésus-Christ” qui n’est donc pas Dieu, “les fidèles seraient éloignés peu à peu de ces dévotions particulières qui sont parfois une ‘deversio a Deo et conversio ad creaturas’. Dans la liturgie le Christ a conservé son rôle d’intermédiaire entre nous et le Père. En exécutant le rite sur les autels non attachés au mur, mais libres au milieu, comme dans les anciennes basiliques, on soustrairait toute image visible pour adorer l’invisible. (…) Si à l’adoration de l’Eucharistie qu’en dehors de la Messe on a l’habitude de faire aujourd’hui en fin d’après-midi, on substituait la récitation en italien des Vêpres et des Complies, et une lecture de la Bible commentée, non seulement on reviendrait à l’usage antique de ’Église qui ne connaissait pas cette adoration faite en dehors de la Messe, mais on nourrirait les esprits avec une nourriture des plus saines” (p. 251). “Il ne m’échappe pas cependant, concluait l’abbé Vannutelli, que cette tentative de réforme et d’autres plus sages qui ne me viennent pas à l’esprit, est de beaucoup plus facile à proposer qu’à exécuter. Je n’ignore pas combien il est difficile, même à la sagesse romaine des Saints Pontifes, de gouverner l’Église…” (ibidem). Qu’il ne s’afflige pas, qu’il ne craigne rien, ce vieux moderniste : celui qui devait réaliser cette réforme liturgique dont il rêvait, il le connaissait personnellement, et il la réalisa dans toutes ses grandes lignes : suppression du latin, autel face au peuple, participation des fidèles, pastoralisme (messe conçue comme catéchèse et pastorale), archéologisme (retour à de présumés rites de l’antiquité chrétienne), liturgisme (prééminence de la liturgie, presque jusqu’à éliminer les dévotions plus récentes ou non liturgiques). Cet homme, c’était l’abbé Jean-Baptiste Montini, futur Paul VI, qui, moins de trente ans plus tard allait réaliser les souhaits de l’abbé Vannutelli.
L’abbé Primo et l’abbé Jean-Baptiste
Encore aujourd'hui (novembre 2009), sur le site officiel de la Paroisse de Chiesa Nuova (www.vallicella.org), on peut lire ce qui suit sur l’abbé Primo Vannutelli :
Le Père Primo Vannutelli, connu comme Abbé Primo, fut, avec le Père Louis Botton, l’un des plus vaillants collaborateurs du mythique Père Caresana, Curé de Chiesa Nuova et Préposé de la Congrégation de l’Oratoire, dont le souvenir est encore vivant dans la Paroisse. Une essentielle et heureuse synthèse de la vie sainte et laborieuse du P. Vannutelli est contenue dans le petit “mémento” de sa mort, que nous transcrivons ici : “Du jour de sa première Messe le 1er novembre 1909, célébrée à l’autel de saint Philippe, jusqu’au jour de sa sainte mort le 9 avril 1945 dans la maison de saint Philippe, l’abbé Primo Vannutelli a consumé splendidement sa vie laborieuse dans l’apostolat quotidien de la piété, de la science, de l’art. Prêtre zélé et généreux, éminent enseignant du lycée et de l’université, maître parmi les plus célébrés dans l’étude des livres saints, amateur exquis de la musique et de la littérature, à tous et pour tous, il faisait de tout un instrument de joyeuse conquête des âmes au Christ, avec cette préférence toute simple des Philippins pour les enfants, pour les jeunes, pour les malades, pour les humbles, pour les prisonniers, pour les persécutés. Tout à tous et pour tous il se donnait dans un feu parfait de charité, image accomplie du dispensateur de joie que Dieu choisit pour le salut de beaucoup”.
Que ces paroles aient été écrites le lendemain de la mort du prêtre sans foi, on peut le comprendre, parce qu’on pouvait ignorer – du moins en partie – ses véritables sentiments ; mais il n’en est pas ainsi de nos jours, après l’annonce d’abord, puis la publication de son “Testament spirituel”. Et pourtant cette publication n’empêche pas les Philippins de Rome de parler de la “vie sainte et laborieuse” de l’abbé Primo, ou encore, dans le Journal de la Procure Générale des Oratoriens, de le définir comme “sage et savant” (dixit le Père Giuseppe Ferrari) (9) comme “le très docte abbé Primo Vannutelli, prêtre exemplaire à Chiesa Nuova et professeur de Lettres classiques dans les lycées romains” (c’est ce que déclarait le Père Cerrato, Procurateur Général, au Vice-Régent de Rome, en 2004) (10).
Mis à part le scandale de ces appréciations sur la personne d’un apostat de la foi chrétienne, dans les notes biographiques écrites par les Philippins d’aujourd’hui, je découvre une “piste” de recherche qui mérite d’être suivie. L’abbé Primo en effet était l’“un des plus vaillants collaborateurs du mythique Père Caresana”. Or, le Père Paul Caresana (1882-1973) fut l’ami de toute sa vie, le père spirituel et le confesseur de… Jean-Baptiste Montini, le futur Paul VI. Tout se tient !
L’amitié de Montini avec les Pères oratoriens Caresana et Bevilacqua (1881-1965) (ce dernier créé par lui cardinal lors de son premier consistoire de 1965) date de la première jeunesse du futur Paul VI. Dès 1902 et jusqu’à son ordination sacerdotale en 1920, J.-B. Montini fréquenta à Brescia les Père philippins “de la Paix”. Et c’est son père, le politicien démocrate-chrétien Giorgio Montini, qui en 1913, suite à une retraite à Brescia chez les “Pères de la Paix”, conseilla à son jeune fils Jean-Baptiste, encore laïc, de se confier aux Pères Caresana et Bevilacqua. Ce dernier (lui aussi confesseur de Montini) avait obtenu ses diplômes en sciences politiques à Louvain, en Belgique, où il avait été élève du futur cardinal Mercier (grand libéral, pionnier de l’œcuménisme et protecteur de modernistes tels que le Père Semeria, ami de Montini à Brescia) (11) ; le Père Bevilacqua avait également fréquenté, à Mont-César, les précurseurs du mouvement liturgique dont il fut un important représentant en Italie, premier inspirateur donc de la réforme liturgique montinienne (il fut membre du Consilium pour appliquer la réforme liturgique conciliaire, Consilium dirigé par Lercaro et Bugnini) (12). “On peut dire – écrit Yves Chiron – que Bevilacqua exerça sur Montini une influence essentiellement intellectuelle, tandis que Caresana fut son maître spirituel” (p. 24). Interventionniste en 1915 dans le sillage de Bevilacqua, le jeune Montini fondait en 1925 la maison d’édition Morcelliana (p. 79) qui publia Maritain, Karl Adam, Guardini. De 1928 à 1932 le Père Bevilacqua vécut à Rome partageant avec Montini le même appartement ; là, sur l’Aventin, les deux amis ont la même vie, la même passion pour la liturgie, et la même passion politique, liée au catholicisme démocratique et antifasciste qui les voit s’opposer au Concordat entre l’Italie et le Saint-Siège ; Bevilacqua avait dû en effet quitter Brescia sur ordre du cardinal Laurenti (de la congrégation pour les Religieux) à cause de ses heurts avec les autorités fascistes locales. Lorsque Bevilacqua retourne à Brescia, Montini écrit aux siens : “je me sens très seul spirituellement” (CHIRON, op. cit., p. 67, note 1). Montini est très vite consolé de cette solitude par l’arrivée à Rome, en 1934, de celui qui, même de loin, était demeuré son Père spirituel, le Père Caresana justement, qui devint Préposé de la Congrégation romaine des Oratoriens, avec comme collaborateur l’abbé Vannutelli, lui aussi antifasciste de renom. Des idées liturgiques du Père Vannutelli et du Père Bevilacqua, tous deux Oratoriens, nous avons vu ce qu’il en est. Que ces idées aient été déjà partagées par Mgr Montini, cela est certain ; un singulier épisode le confirme aussi. En novembre 1923, l’abbé Montini avait été nommé assistant ecclésiastique du cercle universitaire romain (FUCI), puis, en 1925, assistant national ; mais le 1er février 1933 il fut contraint, par ordre supérieur, à donner sa démission de ces charges. C’était le point d’aboutissement d’un antagonisme débuté en 1931 avec la nomination par le cardinal vicaire de Rome, Francesco Marchetti Selvaggiani, de Mgr Ronca (13), comme assistant ecclésiastique du cercle romain de la FUCI ; rapidement Mgr Ronca se heurta à l’assistant national, Montini, à propos, entre autres, de circulaires aux aumôniers de la FUCI – à Pâques 1931 et 1932 – circulaires dans lesquelles Montini précisément condamnait les dévotions privées, les “pèlerinages de dévots devant les statues de carton-pâte”, les autels chargés de “candélabres, palmes, fleurs, etc.” Ces idées venaient de Bevilacqua… et de l’abbé Vannutelli, mais à l’époque elles étaient, à raison, considérées comme infestées de “liturgisme” et de “protestantisme” (14). Mais l’abbé Montini ne se résignait pas ; le 8 décembre 1933 ses étudiants, les fucini, et les lauréats catholiques lui offrirent un calice à la base duquel étaient gravées ces paroles de saint Paul : La parole de Dieu n’est point enchaînée (II Thim, 2, 9) : Montini est enchaîné comme saint Paul, devons-nous traduire, et le cardinal vicaire en est le geôlier et le persécuteur. La réunion et la messe célébrée par l’ex-assistant national de la FUCI eut lieu chez les Bénédictines de sainte Priscille, fondées par l’abbé Giulio Belvederi. Quand on sait qui était l’abbé Belvederi, ce choix n’était certainement pas l’effet du hasard.
L’abbé Primo et l’abbé Giulio
C’est le sénateur à vie, Giulio Andreotti, qui nous informe sur Belvederi dont il était un admirateur avant même d’en devenir parent en épousant sa nièce Livia, qui était pour Belvederi comme une fille ; encore récemment l’homme d’état démocrate-chrétien a évoqué Belvederi dans L’Osservatore Romano à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. “Deux personnalités modernes – écrit Andreotti de Jean XXIII et de Mgr Belvederi, liés toute leur vie par une profonde amitié – ont échappé aux rigueurs de l’antimodernisme fanatique parce qu’appelés immédiatement à exercer leur ministère sacerdotal extra Urbem, comme secrétaires d’évêques : le premier à Bergame et l’autre à Bologne”. (Les évêques auxquels Andreotti fait allusion étaient respectivement Mgr Radini Tedeschi et Mgr Svampa ; je reviendrai sur la question pour expliquer la thèse d’Andreotti). Les liens de parenté de Mgr Belvederi sont intéressants : outre ses liens avec la famille Andreotti, ses liens avec la famille Murri (eh oui, la famille de l’abbé Romolo, le prêtre moderniste excommunié, père de la Démocratie chrétienne, et plus proche encore, avec la famille du Professeur Augusto et du docteur Tullio Murri, ceux du fameux crime Murri-Bonmartini) (15). Mais une autre parenté – plus prestigieuse et plus importante – figure dans l’arbre généalogique du Monseigneur bolonais : il était le neveu du cardinal Respighi, Cardinal Vicaire de Rome sous saint Pie X. Et là intervient la similitude entre Mgr Belvederi et Mgr Vannutelli (16) : tous deux neveux de cardinaux, tous deux malmenés durant le pontificat antimoderniste de saint Pie X, tous deux devenus par la suite spécialistes de l’antiquité chrétienne (Belvederi comme archéologue, l’abbé Vannutelli en tant qu’exégète), et, ce qui compte le plus, tous deux disciples et intimes de l’archi-moderniste Ernesto Buonaiuti. C’est Giulio Andreotti qui raconte ce qui concerne Mgr Belvederi dans son œuvre “I quattro del Gesù, Storia di un’eresia” (17), que j’ai eue l’occasion de citer plusieurs fois. L’hérésie en question, c’est l’hérésie moderniste et Andreotti assimile les quatre amis du temps du séminaire, Buonaiuti, Manaresi, Belvederi et Roncalli, dans cette affaire. Buonaiuti fut excommunié, et Andreotti invoque sa réhabilitation ; Manaresi défroqua ; Belvederi et Roncalli “s’en tirèrent” parce qu’ils furent rappelés dans la ville d’origine de leurs évêques et protecteurs respectifs, Svampa (puis Della Chiesa) et Radini Tedeschi, dont ils devinrent les secrétaires particuliers. Les relations entre Belvederi et Buonaiuti et celles entre Belvederi et Roncalli (qui, en tant que Jean XXIII, rendit visite au prélat durant sa dernière maladie) ne s’interrompirent pas pour si peu. Or, Andreotti raconte que lorsqu’il fit la connaissance de Mgr Belvederi en 1935, aux catacombes de Priscille et à la chapelle des Bénédictines (la chapelle même où célébra Mgr Montini démis de ses fonctions à la FUCI), le prélat “fit remarquer (…) que l’autel de la chapelle était tourné vers nous, quoiqu’en contravention avec une norme ‘encore en vigueur pour quelque temps’ dans l’Église latine” (p. 9), norme dont, de tout évidence, Mgr Belvederi n’avait que faire, comme il tenait à le faire remarquer.
Et pourtant, comme l’abbé Vannutelli, Mgr Belvederi se montra lui aussi prophète : ce “quelque temps” dura trente ans et la “prophétie” se réalisa. En somme, dans la Rome des années 30, Montini, Bevilacqua, Vannutelli, Belvederi… étaient tous adeptes de l’autel réduit à une table face au peuple, ce que dénonça Pie XII dans l’encyclique sur la liturgie Mediator Dei. Tous avaient été formés dans l’atmosphère infecte du modernisme, dans la haine de “l’antimodernisme fanatique”, ourdissant de futures victoires. Mgr Vannutelli fit outing (pour employer cet horrible néologisme anglo-saxon) et révéla post mortem son apostasie. Et les autres ? Nous ne le saurons qu’au Jugement universel. En attendant, nous en savons suffisamment sur l’origine des réformes qui empoisonnent la vie de l’Église depuis plus de quarante ans.
Notes et références
1) “La plus sale canaille que l’on connaisse, malpropre, prêt à toutes les trahisons” selon Mgr Benigni (POULAT, Intégrisme et catholicisme intégral, Casterman, 1969, p. 330).
2) Il fut créé Prélat domestique de Sa Sainteté le 3 juin 1939 (son Testament est daté du 3 octobre de la même année) ; on devrait donc parler de Mgr Vannutelli. En tant que Religieux Oratorien, on disait Père Vannutelli. Pour tous, cependant, il était “l’abbé Primo”.
3) C’est en suivant ces “Groupes de l’Évangile” à l’Université que le fucino [membre de la FUCI] Giulio Andreotti fit la connaissance du “distingué bibliste” Primo Vannutelli (30 Giorni, juin 2007).
4) J’avais déjà écrit ces considérations lorsque j’ai eu l’occasion de lire un document du Fonds Benigni conservé dans les Archives secrètes du Vatican, document dans lequel le fondateur du Sodalitium Pianum exprime son point de vue sur les faits : “Modernistes et Gasparri, 1916. L’affaire du serment impromptu prêté devant le cardinal par les prêtres connus notoirement comme modernistes Buonaiuti Ernesto, Turchi Nicola, Mozzo … (sic) et Vannutelli a pour dessous ce qui suit. Ces derniers en avaient fini avec le procès au Saint- Office : ils s’en étaient tirés, comme bien d’autres, grâce à Rampolla. Gasparri (sur ordre du Pape ?) s’est emparé alors de l’affaire, l’enlevant au Saint-Office. Après la comédie sacrilège du serment, Buonaiuti s’est entretenu une heure avec Gasparri, et a déclaré être plein d’admiration pour la largeur (!) d’idées du cardinal. Évidemment Gasparri les a persuadés de prêter serment devant lui et dans son sens, sens en accord avec le leur. (…)” SERGIO PAGANO, Documents sur le modernisme romain du fonds Benigni, in Ricerche per la storia religiosa di Roma, VIII (1990), pp. 261-262.
5) Il testamento di fede di don Primo Vannutelli [Le testament de foi de l’abbé Primo Vannutelli], par les soins de Francesco Gabrieli in Centre d’études pour l’histoire du Modernisme, Fonti e Documenti, n° 7, Institut d’Histoire de l’Université d’Urbino, 1978, pp. 118-253.
6) Parmi les milliers de témoignages sur le sujet, je me plais à citer un texte de la Ponentia de la Sacrée Congrégation du Saint-Office du 12 janvier 1921, écrit en vue de l’excommunication signifiée à Buonaiuti : “Le groupe moderniste romain avait suivi la plus fatale évolution. Alors que dans la réponse à l’encyclique Pascendi, autrement dit dans le programme (des Modernistes) les prêtres rebelles de Rome se proclamaient ‘fidèles sujets de l’Église, résolus à lui rester adhérents jusqu’au dernier souffle de leur existence, obéissants à l’autorité dans laquelle nous voyons se prolonger le ministère pastoral des Apôtres’, etc ; dans les ‘Lettres du Prêtre moderniste’, celui-ci, au nom de son groupe niait les principes spéculatifs fondamentaux du catholicisme : la doctrine de l’immortalité de l’âme, de l’existence d’un Dieu personnel, de la divinité de Jésus-Christ’, affirmait en outre concevoir le christianisme en un sens hédonistiquement païen, et enfin manifestait l’intention collective de rester dans l’Église à tout prix et d’en pratiquer sacrilègement ‘les rites antiques’ avec le but déclaré ‘d’accomplir à son encontre une œuvre tenace d’érosion’ et de ‘gagner tout doucement des positions haut-placées dans la hiérarchie’ afin que l’héritage du Christ passe des mains du Vatican soupçonneux dans les leurs” Fonti e documenti [Sources et documents] n° 7, op. cit., p. 28.
7) E. BUONAIUTI, Il Modernismo cattolico, Guanda, Modène 1943, p. 128 et 130, cit. par DE MATTEI, Modernismo e antimodernismo nell’epoca di Pio X, in AA.VV., Don Orione negli anni del modernismo, Jaka Book, Milan 2002, pp. 49-50.
8) Cf. Sodalitium n° 59, mars 2007, pp. 29-30.
9) E Procura Generalis. Officiale Commentarium Procuræ Generalis Confoederationis Oratorii S. Philippi Nerii, fascicule 2, p. 362. Le Père oratorien Giuseppe Ferrari, vice-curé à l’église Chiesa Nuova, est décédé le 16 avril 2008 à l’âge de 87 ans. Il fut élève de Mgr Belvederi et “lecteur passionné de l’abbé Primo Vannutelli”, aux dires du Père Edoardo Aldo Cerrato, procurateur général, préposé de la congrégation romaine des Oratoriens, dans l’homélie prononcée durant la “messe d’obsèques présidée par l’évêque auxiliaire Ernesto Mandara à Santa Maria in Vallicella” (RomaSette [Hebdomadaire du Diocèse de Rome], 16 avril 2008).
10) E Procura Generalis…, fascicule 3, 2004, p. 403. Et Mgr Pagano, récemment élevé à l’“épiscopat” par Benoît XVI, écrit de l’abbé Vannutelli : “même s’il a vécu en plein la crise moderniste, Vannutelli est toujours demeuré dans l’Église, poursuivant avec prudence et sagacité ses études bibliques et collaborant aux meilleures revues du secteur” (op. cit., p. 262, note 14). “Il est toujours demeuré dans l’Église” : comme nous l’avons vu, apparemment seulement ! Est-ce en cela que consistent la prudence et la sagacité de l’abbé Vannutelli selon Mgr Pagano ?
11) Cf. YVES CHIRON, Paul VI. Le pape écartelé, Via Romana, 2006, p. 33. À propos du Père barnabite Jean Semeria (1867-1931), voir la fiche d’ÉMILE POULAT in Intégrisme et catholicisme intégral, Casterman 1969, pp. 250-254 ; à Gênes de 1895 à 1912, il dut s’éloigner de l’Italie et se réfugier à Bruxelles, où il fut précisément l’hôte du cardinal Mercier. Ce n’est qu’après la première guerre mondiale qu’il revint à Brescia où il fut l’hôte des Montini : “À son contact, Battista (Montini) acquit une conception historique de la liturgie qui complétait ce que, dans ce domaine, il avait déjà reçu du Père Bevilacqua” ( CHIRON, 1. c., p. 35).
12) Il passa son diplôme à Louvain en 1905 avec une thèse sur la législation ouvrière en Italie, essai publié l’année suivante à Turin par l’éditeur Bocca, notoirement proche de la Maçonnerie. En 1922, il organisait le premier congrès national de liturgie, qui eut lieu à Brescia et ouvrait la voie au mouvement liturgique en Italie. Curé de Saint-Antoine (Brescia), il fit construire en 1950, par l’architecte Montini, une église ultramoderne où tout converge vers la table nue et vide, selon ses principes liturgiques.
13) Mgr Roberto Ronca (1901-1977) refusa la célébration de la “messe” de Paul VI. Il est le protagoniste du livre d’A. RICCARDI “Il partito romano” [Le parti romain], Morcelliana, Brescia 1983.
14) “A. FRAPPANI, F. MOLINARI, Giovanbattista Montini giovane”, Marietti, 1979 ; Y. CHIRON, op. Cit., p. 69 ; A. MELLONI, “Le illusioni di Montini,” in Corriere della Sera (quotidien italien), 6 mars 2005, p. 31. 15) Cf. GIANNA MURRI, La verità sulla mia famiglia e sul delitto Murri, [La vérité sur ma famille et le crime Murri], Perdragon, Bologne 2003. L’auteur, fille de Tullio Murri, défend la mémoire de son père, condamné pour l’homicide du comte Francesco Bonmartini, son beau-frère, en 1902 ; de criminelle, l’affaire devint politique, car Bonmartini était connu comme catholique, tandis que la famille du célèbre professeur Augusto Murri (cousin de l’abbé Romolo), et son fils Tullio étaient laïques et socialistes. Mais l’abbé Belvederi était très lié à ladite famille, et spécialement à Tullio, avant même que s’établissent des liens de parenté avec les Murri (Mgr Belvederi est l’oncle du mari de Gianna Murri, tout comme de Livia Andreotti).
16) Vannutelli, nous l’avons vu, devint Prélat domestique en 1939, sous Pie XII ; Belvederi l’était devenu le 15 mars 1923, sous Pie XI.
17) G. ANDREOTTI, I quattro del Gesù. Storia di un’eresia [Les quatre du Jésus. Histoire d’une hérésie], Rizzoli, 2000. Édition spéciale pour les lecteurs de 30 Giorni [30 Jours], le mensuel dirigé par Andreotti et qui relève de Comunione e Liberazione (quoiqu’en dise ce mouvement) : ce qui fait comprendre de quel côté sont les membres de ce mouvement.
Appendice
Mgr Vannutelli n’était pas Oratorien (mais il était moderniste)
Suite à la parution de cet article Un “prophète” moderniste. Le testament de l’abbé Primo Vannutelli, publié dans le n° 64 italien, en mai 2010, aux pp. 14-22, article dans lequel je cite le Père Edoardo Aldo Cerrato C.O., celui-ci m’a écrit deux lettres très cordiales, datées des 3 et 4 août 2010, à propos de l’abbé Primo Vannutelli. Dans la première, le Père Cerrato précise “que monseigneur Primo Vannutelli (“don” avant de recevoir sa nomination de Prélat domestique) n’a jamais été un religieux de l’Oratoire : comme d’autres prêtres séculiers (les Oratoriens le sont aussi, mais ils appartiennent à l’une des Sociétés que l’on appelait autrefois “Société de vie commune sans vœux” et dans le C. J. C. en vigueur “Société de vie apostolique”) il a vécu dans la Maison de l’Oratoire de Rome en qualité d’hôte et il y est mort, mais sans jamais faire partie de la Congrégation : il a toujours été “don” mais jamais “père” Primo Vannutelli, même si dans diverses publications on peut le trouver désigné – incorrectement – sous ce titre”. Le site de Chiesa Nuova parlant lui aussi du “Père Vannutelli” (par conséquent en tant que religieux oratorien), le Père Cerrato s’est employé à faire corriger l’information erronée (et, à ce qu’il semble, à faire effacer du site toute mention de Vannutelli). Ce même religieux a aussi précisé que ni lui, ni le défunt Père Ferrari, en faisant l’éloge du personnage Vannutelli n’entendaient partager sa pensée moderniste, et ceci – à la défense de l’honneur du Père Cerrato et du souvenir du Père Ferrari – j’ai le devoir de le transmettre aux lecteurs ; cependant, avant l’article de Sodalitium, les louanges au personnage de Vannutelli n’étaient pas accompagnées de cette mise au point nécessaire. L’étude de Sodalitium sur le personnage de l’abbé Vannutelli a été citée par divers auteurs, parmi lesquels se distingue par son importance ROBERTO DE MATTEI dans son Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta (Lindau, Torino, 2010, p. 80) [Le Concile Vatican II. Une histoire jamais écrite].